
Agents du changement
Ajay Raghavan : Une autre vision des batteries
« En 2012, nous voulions remettre en question cette sagesse conservatrice. Je n'étais qu'un outsider de plus avec une idée de plus. »
Vers des batteries plus performantes
Ajay Raghavan est un scientifique au PARC, une filiale de Xerox, l'un des centres de recherche les plus avancés au monde. En 2012, Ajay a commencé à s'intéresser aux capteurs et structures intelligentes pour améliorer la performance des batteries. Force est de constater que les résultats obtenus ont dépassé ses espoirs les plus fous... et ceux de ses collègues au PARC.
Voici un problème récurrent de notre monde moderne : votre téléphone ou ordinateur portable affiche une charge restante de 10 %, mais dès lors que vous ouvrez une application « gourmande », il s'éteint. Puis, au bout de quelques minutes, vous parvenez miraculeusement à le rallumer.
Cela l'indication d'un système de gestion de batterie de votre appareil peu performant. Cette situation peut être, certes, un peu pénible sur la durée si elle se reproduit. Mais une mauvaise gestion de la batterie peut avoir des conséquences autrement plus graves que le léger désagrément subi par les utilisateurs d'ordinateur ou de téléphone portable. Elle peut entraîner des accidents industriels à grande échelle et générer des inefficacités qui coûtent des milliards de dollars chaque année.
Plus grave encore, l'imprécision des systèmes de gestion de batterie a retardé l'adoption du stockage d'énergie et la transition à l'échelle mondiale des véhicules à essence vers les véhicules électriques.
La course à l'amélioration de la performance des batteries a d'énormes implications pour la santé de la planète.
Et voilà qu'Ajay Raghavan, expert dans le domaine des capteurs et structures intelligentes, a l'idée géniale d'insérer des capteurs à fibre optique dans les batteries pour améliorer les systèmes de gestion. Plus il y pensait, plus l'idée lui paraissait ingénieuse. S'ouvrait alors une longue et délicate quête d'innovation dans ce domaine.
Voici le récit de l'ingéniosité d'un scientifique et de son équipe. Mais c'est aussi un récit sur le courage, la foi et la persévérance essentiels pour poursuivre sa vision et la concrétiser en une innovation de portée mondiale.

Ajay, comment vous êtes-vous intéressé à l'ingénierie ?
Je dirais que c'est de famille. Mon père est ingénieur. Il a travaillé pour Air India quasiment toute sa vie. Certains de mes oncles et autres membres de la famille sont également ingénieurs. J'ai toujours un peu baigné dedans. Et puis à l'école, j'aimais particulièrement les sciences et les maths. Mais j'étais curieux et j'aimais aussi comprendre le fonctionnement des choses : je démontais tout ce que je pouvais et le remontais. Je m'intéressais également à l'aspect créatif de la conception, cherchant à créer des choses aussi efficaces et attrayantes que possible.
Puis, j'ai étudié le génie mécanique à l'Institut indien de technologie de Bombay. C'est à cet établissement que je dois ma carrière d'ingénieur. Ce n'est ni plus ni moins l'une des meilleures écoles d'ingénieurs au monde.
Quand avez-vous commencé à vous intéresser aux capteurs ?
C'était à l'occasion d'un séminaire animé par un professeur de génie civil. Celui-ci nous a parlé de l'idée de placer des capteurs sur les ponts afin de surveiller leur état à tout moment, et d'éviter d'envoyer du personnel de maintenance tous les six mois pour en inspecter la structure. Il a évoqué la possibilité d'appliquer cette idée à un vaste éventail de structures, comme les avions et les vaisseaux spatiaux. Les capteurs assurent une surveillance permanente, et les algorithmes peuvent ensuite analyser des flux de données complexes pour déterminer l'état de la structure à tout moment.
C'est comme ça que j'ai été introduit au concept des structures et systèmes intelligents. J'ai été fasciné et j'ai voulu approfondir.
Comment en êtes-vous arrivé à travailler pour Xerox ?
Après mes études, je suis parti à l'université du Michigan, à Ann Arbor, où j'ai mené un projet de recherche de cinq ans financé par la NASA dans le cadre de mon doctorat. Ce projet étudiait l'application de ces concepts sur les structures d'avions et de vaisseaux spatiaux en général. Mais dans le domaine aérospatial, les délais habituels pour l'adoption d'une nouvelle technologie se situent entre 15 et 30 ans. Je ne pouvais pas concevoir d'attendre aussi longtemps. Je voulais voir la production et le déploiement rapides des technologies sur lesquelles je travaillais. C'est alors que j'ai entendu parler d'une opportunité de recherche au PARC.

Lors de mon entretien, le Dr. Peter Kiesel, l'un des chercheurs du site, m'a brièvement fait visiter le laboratoire. Il travaillait sur le concept de la détection optique compacte à bas coût. J'avais lu des articles sur l'utilisation de la détection optique pour les systèmes et structures intelligents. J'ai donc tout de suite vu le potentiel pour un projet d'envergure.
Quels types de technologies aviez-vous en tête ?
J'ai collaboré avec le Dr. Kiesel et exploré diverses applications potentielles de technologies de détection optique à bas coût. Toutes nos propositions n'ont pas été retenues. Puis, nous avons entendu dire que l'ARPA-E [Advanced Research Projects Agency-Energy, une agence du ministère de l'Énergie qui finance les projets de recherche à hauts risques présentant un fort potentiel de retombées] s'intéressait aux possibilités d'évaluation de l'état des systèmes de gestion de batterie pour les véhicules électriques, au stockage d'énergie et à d'autres applications avancées.
J'avais déjà vaguement pensé à la possibilité de placer les capteurs à l'intérieur des éléments de batteries, mais à cet instant précis, l'idée m'est apparue évidente. J'ai donc suggéré de placer un capteur à l'intérieur.
Pouvez-vous expliquer ce qu'est un système de gestion de batterie ?
Le système de gestion de batterie surveille l'état et la charge des batteries à travers des paramètres tels que la tension, le courant et la température. Plus le système de gestion est performant, mieux il protège les batteries, les aide à fonctionner de manière optimale et prolonge leur durée de vie. Lorsque les systèmes de gestion de batteries fonctionnent mal, les conséquences peuvent être catastrophiques. Je peux vous citer l'exemple des problèmes de batteries du Boeing 787 qui a récemment coûté au secteur de l'aviation plus d'un milliard de dollars. Ou les incendies et problèmes de sécurité des véhicules électriques. Des incendies qui se sont déclarés dans des sites de stockage d'énergie. Des milliards de dollars sont dépensés chaque année pour tenter d'améliorer la technologie des batteries. C'est un domaine crucial de la recherche sur l'énergie.
Qu'est-ce qui empêche les systèmes de gestion de batteries de fonctionner correctement ?
Disons que la tension, le courant et la température sont tous trois des paramètres électriques surveillés depuis l'extérieur des éléments, et ils n'en disent pas suffisamment sur l'état et la charge des batteries. À cause de cela, personne n'ose vraiment modifier la conception des blocs-batteries. Et la capacité des batteries est rarement utilisée intégralement.

C'est donc un problème pour les ordinateurs ou téléphones portables qui s'éteignent lorsqu'une application gourmande est ouverte. Mais imaginez l'ampleur du problème dans le contexte des véhicules électriques ou du stockage d'énergie, où les charges et les contraintes sont nettement plus agressives.
Tout le monde dans le secteur sait qu'il faudrait trouver le moyen de mieux gérer les batteries. Mais personne n'avait jamais vraiment su comment tourner le problème, tellement ils étaient tous ancrés dans cette vision conventionnelle axée autour des trois paramètres habituels. En 2012, nous voulions remettre en question cette sagesse conservatrice. J'ai vu là l'occasion d'utiliser nos capteurs à fibre optique à l'intérieur des éléments de batteries.
Quelle a été la réaction des gens ?
Je ne peux pas dire que ça a suscité l'engouement général. Les collègues et les professionnels du secteur des batteries ont affiché un certain intérêt mais une grande hésitation aussi. Pour être franc, en matière de recherche dans ce domaine, la liste des idées folles qui ont capoté est longue. Ils sont nombreux à avoir tenté, en vain, d'intégrer un capteur à l'intérieur d'un élément. L'intérieur d'une batterie est un environnement hostile pour les capteurs. Personne n'avait jamais essayé avec un capteur à fibre optique. J'étais un outsider de plus proposant une idée de plus.
J'ai réussi à convaincre tout le monde qu'il fallait soumettre à l'ARPA-E une note de réflexion de dix pages pour tenter d'obtenir une subvention. Nous avons donc proposé cette idée initiale très schématique consistant à intégrer des capteurs à fibre optique et à utiliser une version d'affichage à bas coût, le tout avec des algorithmes intelligents capables d'exploiter les données brutes pour déterminer ce qui se passe à l'intérieur des éléments de batteries.

Nous avons envoyé cette note de réflexion et elle a été plutôt bien reçue par l'ARPA-E qui nous a encouragé dans cette voie, nous suggérant tout de même de former un partenariat avec un fabricant de batteries. Nous avions deux mois avant de soumettre une proposition complète. Je crois que nous nous sommes alors adressés à trois fabricants de batterie. Les réponses reçues étaient un subtil mélange d'enthousiasme et d'appréhension. Un important fabricant de batteries pour voitures électriques nous a contactés à cinq reprises. À chaque fois, il se disait totalement conquis et fasciné par le projet mais il hésitait à cause des risques. Le temps passait et nous n'étions qu'à quelques jours de la remise de la proposition. En interne au PARC, nous avions décidé que si nous ne trouvions pas de partenaire, nous n'irions pas plus loin.
Nous sommes restés dans l'incertitude jusqu'au bout. Puis, l'un des fabricants de batteries que nous avions contacté, LG Chem Power, s'est finalement décidé à nous suivre. Nous étions à dix jours de la date butoir. En résumé, nous n'avons quasiment pas dormi pendant les dix jours suivants pour présenter un dossier qui tenait la route. Et nous y sommes parvenus de justesse.
Quelques mois plus tard, l'ARPA-E nous annonçait qu'elle acceptait de nous financer. Nous étions sidérés. Elle nous a accordé 4 millions de dollars pour un projet sur trois ans, c'était au moins 1 million de plus que toutes les autres subventions. Nous n'en revenions pas.

Nous savions que notre proposition contenait de nombreux risques techniques et que les trois années à venir allaient être intenses à bien des égards. N'oubliez pas qu'en 2012, les véhicules électriques étaient un marché émergent.
L'idée paraît forcément bonne, alors pourquoi était-elle considérée si risquée ?
Précisément parce qu'elle était risquée, et ce à trois égards : Premièrement, éviter de nuire à la performance de la batterie, que ce soit sur le plan de la capacité de charge qu'elle peut contenir ou de l'impact sur la rapidité de décharge d'un cycle avec un capteur placé à l'intérieur. Deuxièmement, éviter de nuire à l'intégrité de l'étanchéité. Troisièmement, après toutes ces précautions, obtenir des résultats qui justifient tous les efforts entrepris pour placer le capteur à l'intérieur.
On a dû procéder à une dizaine d'itérations avec LG. À chaque fois un problème différent se produisait. Et chaque itération était laborieuse car l'équipe LG avec laquelle nous travaillions se trouvait en Corée du Sud. Nous devions à chaque fois lui envoyer les capteurs qu'elle plaçait à l'intérieur des éléments et, parce qu'il s'agissait à chaque fois de nouveaux éléments, il y avait une période d'activation d'un mois avant qu'ils ne soient prêts. Puis, l'équipe de Corée nous renvoyait le tout.
Avez-vous eu des moments de doute ?
Je vous avoue qu'il m'est arrivé quelques fois de penser que nous vivions les dernières heures de ce projet. Mais l'ARPA-E, LG Chem et l'équipe de direction du PARC nous ont soutenus jusqu'au bout. Ils n'ont jamais flanché.
Le projet SENSOR s'est-il concrétisé ?
Au début du projet, nos interlocuteurs du secteur nous avaient dit que si nous parvenions à obtenir une précision de la mesure à plus ou moins 2,5 %, ce serait très intéressant. Pour vous donner une idée, ce qui se fait de mieux dans ce domaine se situe à 5 % ou plus. Personne dans le secteur des véhicules électriques ne l'admettra ouvertement, mais par temps froid, la précision des batteries ne dépasse pas les 10 %. Les algorithmes initiaux que nous avons mis au point ont montré que nous pouvions tabler sur une précision de l'état des batteries à 2,5 % ou mieux sur un vaste panel de conditions et de scénarios.
Notre ambition est de faire adopter cette technologie pour les véhicules électriques, mais qui sait, elle pourrait très bien trouver d'autres applications. Nous avons démontré que nous pouvions réduire le coût et la taille des affichages optiques. La plupart des systèmes de lecture optiques proposés sur le marché actuellement coûtent entre 15 000 et 35 000 dollars, ce qui correspond au coût d'une batterie de voiture électrique. Ils ne conviennent pas pour les voitures, ils sont destinés à un usage laboratoire. Mais avec notre technologie de mesure des signaux sur fibre optique, il est possible de les ramener à la taille d'un smartphone et de réduire ainsi le coût à quelques centaines de dollars. Nous avons toutes les raisons d'être optimistes et de voir cette technologie déployée aux véhicules électriques.
Que va-t-il arriver maintenant au projet SENSOR ?
General Motors a intégré la technologie SENSOR en interne dans son laboratoire dédié aux batteries dans le Michigan. C'est le meilleur laboratoire de batterie au monde, avec près de 8 000 mètres carrés dédiés aux essais. Là-bas, ils procèdent à des essais beaucoup plus complets et poussés que ce qu'on a pu faire ici. Le temps nous dira si nous passerons le test de la commercialisation. Mais même si ça ne débouchait sur rien, cette technologie représente une formidable solution pour les laboratoires et usines du monde entier. Rien qu'avec ces applications, elle serait un énorme succès. Nous allons demander à notre équipe commerciale d'étudier les autres possibilités de déploiement.
Comment ce projet a-t-il été reçu au PARC ?
Il a ouvert la voie à d'autres projets avec l'ARPA-E. Lorsque nous avons présenté notre proposition à l'ARPA-E, il n'y avait aucun autre projet en cours avec l'agence, malgré plusieurs tentatives antérieures. Aujourd'hui, nous en avons huit au PARC. Pour l'ARPA-E, nous sommes son plus important bénéficiaire du secteur privé. Bien entendu, tout ne tourne pas autour de mon équipe. Il y a au PARC d'autres chercheurs, responsables, collaborateurs et partenaires de qualité qui ont travaillé dur pour en arriver là. Mais j'aime à penser que nous y sommes pour quelques chose.
Félicitations pour ce projet.
Merci. Ça a été une formidable expérience.

Nous participons tous au changement du monde qui nous entoure. Tous autant que nous sommes. À chacun de nos actes, notre présence a des retombées illimitées.
Mais rares sont ceux qui, parmi nous, ont la possibilité d'améliorer la vie de leurs concitoyens. Et encore plus rares sont ceux qui peuvent le faire au quotidien. C’est le défi lancé chaque jour aux scientifiques de Xerox : tenter de faire bouger les lignes.
En échange, nous leur donnons le temps et l’espace pour rêver. Et les ressources pour concrétiser leurs rêves, que ce soit pour inventer de nouvelles machines dotées de fonctionnalités innovantes ou exploiter la réalité augmentée pour stimuler la mémoire des patients atteints d’Alzheimer.
Nous sommes fiers de nos « Agents du changement » qui œuvrent sans relâche dans les centres de recherche Xerox du monde entier.
Rendez-vous sur la page du PARC pour en savoir plus sur le projet SENSOR.
Innovation Xerox
Découvrez comment les grands esprits de notre planète se réunissent dans nos centres de recherche mondiaux pour améliorer l'avenir du travail.
Articles connexes
Agents du changement : Raja Bala
Imaginer un avenir meilleur - Maîtriser le potentiel de la vision par ordinateur
Agents du changement : Santokh Badesha
L'innovation dans le bon sens - Repousser les limites de l'innovation
Impression 3D dans votre chaîne d’approvisionnement
L’impression 3D réduit les frais logistiques et raccourcit les délais de livraison, renforçant ainsi son rôle stratégique dans la chaîne d’approvisionnement.
Fabrication additive ou traditionnelle ? Telle est la question.
Les décisions liées aux investissements dans l’impression 3D exigent une étude quantitative et qualitative des options de fabrication. Les responsables ont besoin d’outils complets et impartiaux
5 raisons pour lesquelles la sécurité IoT est difficile
Les chercheurs de PARC expliquent pourquoi la cybersécurité traditionnelle ne convient plus à l'Internet des objets. Voici ce que vous devez savoir.
PARC fête 50 années d’innovation
Et entend faire en sorte que les 50 prochaines soient tout aussi riches